Les projets de transformation se sont succédé au sein des entreprises durant les années 2000-2012. À l’heure où notre pays connaît une crise qualifiée d’historique, il est instructif de dresser un bilan de leur efficacité. HTS Consulting a publié en février 2013 une étude réalisée auprès de 21 grands groupes européens dont les enseignements bousculent quelque peu les discours les plus convenus.

Lorsque l’on met en perspective les initiatives lancées durant la période, trois thèmes se dégagent particulièrement :

1) L’orientation client

Les approches développées reposent sur le fait que la façon de traiter le client devient un élément de différenciation majeure. L’avantage compétitif s’acquiert en identifiant et en répondant de façon innovante aux besoins, y compris relationnels.

2) La rationalisation des modes de fonctionnement dans une optique d’amélioration de la productivité et de réduction des coûts. L’objectif est de restaurer une rentabilité érodée par la crise afin de maintenir la rémunération de l’actionnaire et de regagner des marges de manœuvre financières.

3) L’adaptation aux évolutions de l’environnement externe de l’entreprise : arrivée de nouvelles technologies (le développement exponentiel de l’e-mail puis des réseaux sociaux par rapport au courrier classique…), concurrents émergents (essor des pure players internet dans la distribution…), nouvelles règlementations (entrée en vigueur de la RT 2012 dans le BTP…) pouvant remettre en cause leur pérennité à court ou moyen terme.

Face à ces enjeux, les entreprises ont multiplié les initiatives.

Près du 1/3 d’entre elles (28 %) ont dépassé la barre des 50 projets lancés sur ces thématiques.

On ne compte plus les projets de CRM, de développement de la cross canalisé, les travaux sur la segmentation client ou sur les offres, les chantiers d’intégration de nouvelles normes ou d’optimisation des process (lean), les séminaires de réflexion sur de nouveaux business models… qui ont pu être lancés durant cette période.

Qu’en est-il du bilan ? Quels sont les résultats obtenus ?

Les projets de réduction des coûts ont démontré leur efficacité. Au total, 70 % des fonctions des entreprises (commerce, production, supply chain, R&D…) ont fait l’objet de projets de productivité entre 2001 et 2011. Les résultats démontrent l’efficacité des initiatives menées : le CA des entreprises interrogées a baissé en moyenne de 10 à 30 % entre 2007 et 2009, alors que leur rentabilité économique moyenne (résultat net d’exploitation/capital d’exploitation) ne s’est érodée que de 1,5 point, à 7,5 % (Bulletin de la Banque de France, N° 178, 4e trimestre 2009, 35).

Le bilan est plus mitigé pour les projets d’orientation client. Par-delà les discours institutionnels, la satisfaction du client ne vient qu’en 5e position des préoccupations quotidiennes des collaborateurs. Vingt ans après l’arrivée des premiers CRM, 45 % des commerciaux considèrent encore cet outil comme inutile pour leur travail au quotidien… mais n’osent plus l’affirmer ouvertement. Les projets d’amélioration de la relation client ont été majoritairement vécus comme centrés sur la réduction des coûts par déport sur des canaux meilleur marché. Dans les 2/3 des cas, les canaux relationnels ne collaborent toujours pas entre eux de façon satisfaisante.

L’adaptation aux changements de l’écosystème s’est déroulée avec succès… tant qu’il n’y avait pas de rupture dans la chaine de la valeur ou dans le business model traditionnel de l’entreprise. Une large majorité des dirigeants (92 %) a aujourd’hui conscience de l’importance des mutations technologiques, de l’évolution des modes de consommation et de l’impact du développement durable. Ils réagissent néanmoins de façon très classique à l’arrivée de nouveaux acteurs issus de ces mutations en travaillant leurs coûts ou leur organisation. Très peu revoient en profondeur leurs modes de fonctionnement ou leur modèle d’affaires, comme a pu le faire IBM dans les années 1990.

Au bilan, l’étude révèle un paradoxe : les entreprises sont beaucoup plus efficaces pour rationaliser leur fonctionnement que pour créer la dynamique qui leur permettra d’aborder le XXIe siècle dans un esprit de conquête. Si la difficulté du contexte peut expliquer ce contraste, il ne faut pas en négliger le caractère traumatisant pour le corps social.

Cela se traduit par un accroissement des difficultés de collaboration entre entités (47 % des dirigeants interrogés) et une montée de l’agressivité au travail (62 %). L’étude révèle une difficulté croissante de positionnement du management intermédiaire, pris en étau entre une politique qu’il ne comprend que partiellement (79 %) et des salariés qui attendent d’être guidés. Le sentiment de ne pas maîtriser grand-chose et de subir domine. La limite de rupture psychologique est souvent atteinte. Alliée à une surcharge de travail et à une pression sur les résultats, elle se caractérise par une augmentation du turn-over et du nombre de burnouts. D’après l’Agence Européenne pour la Santé et la Sécurité au Travail (2009), un cas sur deux d’absentéisme est aujourd’hui causé par le stress chronique.

La parole des dirigeants s’est partiellement démonétisée au fil des plans sociaux et des mesures de réduction des coûts. Le lien de confiance avec les salariés s’est distendu. Après dix ans de projets d’orientation client, on constate que la qualité client est encore perçue par près du quart des personnes interrogées (23 %) comme un moyen de faire passer des changements et non comme une ambition mobilisatrice. La difficulté à partager une vision avec les collaborateurs est étonnante. Les mutations en cours sont pourtant bien réelles dans de nombreux secteurs, mais elles sont encore vécues comme virtuelles par des collaborateurs (34 %) qui n’y voient aucune opportunité de développement (53 %).

Conclusion

Ces éléments révèlent le stress que connaissent aujourd’hui un nombre important d’entreprises. Bousculées par les nouvelles technologies, le coût de l’énergie et une nouvelle répartition mondiale du travail, notre tissu socio-économique sortira profondément transformé de la période que nous connaissons actuellement. Les réponses d’ajustement purement conjoncturelles trouvent leurs limites dans un environnement qui n’est pas en crise, mais en mutation. L’avenir passe par la capacité à créer une dynamique de conquête face à cette mutation… tout l’enjeu est là.

Publié le 05/06/2013 dans Les Echos