Projets de transformation… Tout ça pour ça ? (volet 1)

Projets de transformation… Tout ça pour ça ? (volet 1)

Les projets de transformation se sont succédé au sein des entreprises durant les années 2000-2012. À l’heure où notre pays connaît une crise qualifiée d’historique, il est instructif de dresser un bilan de leur efficacité. HTS Consulting a publié en février 2013 une étude réalisée auprès de 21 grands groupes européens dont les enseignements bousculent quelque peu les discours les plus convenus.

Lorsque l’on met en perspective les initiatives lancées durant la période, trois thèmes se dégagent particulièrement :

1) L’orientation client

Les approches développées reposent sur le fait que la façon de traiter le client devient un élément de différenciation majeure. L’avantage compétitif s’acquiert en identifiant et en répondant de façon innovante aux besoins, y compris relationnels.

2) La rationalisation des modes de fonctionnement dans une optique d’amélioration de la productivité et de réduction des coûts. L’objectif est de restaurer une rentabilité érodée par la crise afin de maintenir la rémunération de l’actionnaire et de regagner des marges de manœuvre financières.

3) L’adaptation aux évolutions de l’environnement externe de l’entreprise : arrivée de nouvelles technologies (le développement exponentiel de l’e-mail puis des réseaux sociaux par rapport au courrier classique…), concurrents émergents (essor des pure players internet dans la distribution…), nouvelles règlementations (entrée en vigueur de la RT 2012 dans le BTP…) pouvant remettre en cause leur pérennité à court ou moyen terme.

Face à ces enjeux, les entreprises ont multiplié les initiatives.

Près du 1/3 d’entre elles (28 %) ont dépassé la barre des 50 projets lancés sur ces thématiques.

On ne compte plus les projets de CRM, de développement de la cross canalisé, les travaux sur la segmentation client ou sur les offres, les chantiers d’intégration de nouvelles normes ou d’optimisation des process (lean), les séminaires de réflexion sur de nouveaux business models… qui ont pu être lancés durant cette période.

Qu’en est-il du bilan ? Quels sont les résultats obtenus ?

Les projets de réduction des coûts ont démontré leur efficacité. Au total, 70 % des fonctions des entreprises (commerce, production, supply chain, R&D…) ont fait l’objet de projets de productivité entre 2001 et 2011. Les résultats démontrent l’efficacité des initiatives menées : le CA des entreprises interrogées a baissé en moyenne de 10 à 30 % entre 2007 et 2009, alors que leur rentabilité économique moyenne (résultat net d’exploitation/capital d’exploitation) ne s’est érodée que de 1,5 point, à 7,5 % (Bulletin de la Banque de France, N° 178, 4e trimestre 2009, 35).

Le bilan est plus mitigé pour les projets d’orientation client. Par-delà les discours institutionnels, la satisfaction du client ne vient qu’en 5e position des préoccupations quotidiennes des collaborateurs. Vingt ans après l’arrivée des premiers CRM, 45 % des commerciaux considèrent encore cet outil comme inutile pour leur travail au quotidien… mais n’osent plus l’affirmer ouvertement. Les projets d’amélioration de la relation client ont été majoritairement vécus comme centrés sur la réduction des coûts par déport sur des canaux meilleur marché. Dans les 2/3 des cas, les canaux relationnels ne collaborent toujours pas entre eux de façon satisfaisante.

L’adaptation aux changements de l’écosystème s’est déroulée avec succès… tant qu’il n’y avait pas de rupture dans la chaine de la valeur ou dans le business model traditionnel de l’entreprise. Une large majorité des dirigeants (92 %) a aujourd’hui conscience de l’importance des mutations technologiques, de l’évolution des modes de consommation et de l’impact du développement durable. Ils réagissent néanmoins de façon très classique à l’arrivée de nouveaux acteurs issus de ces mutations en travaillant leurs coûts ou leur organisation. Très peu revoient en profondeur leurs modes de fonctionnement ou leur modèle d’affaires, comme a pu le faire IBM dans les années 1990.

Au bilan, l’étude révèle un paradoxe : les entreprises sont beaucoup plus efficaces pour rationaliser leur fonctionnement que pour créer la dynamique qui leur permettra d’aborder le XXIe siècle dans un esprit de conquête. Si la difficulté du contexte peut expliquer ce contraste, il ne faut pas en négliger le caractère traumatisant pour le corps social.

Cela se traduit par un accroissement des difficultés de collaboration entre entités (47 % des dirigeants interrogés) et une montée de l’agressivité au travail (62 %). L’étude révèle une difficulté croissante de positionnement du management intermédiaire, pris en étau entre une politique qu’il ne comprend que partiellement (79 %) et des salariés qui attendent d’être guidés. Le sentiment de ne pas maîtriser grand-chose et de subir domine. La limite de rupture psychologique est souvent atteinte. Alliée à une surcharge de travail et à une pression sur les résultats, elle se caractérise par une augmentation du turn-over et du nombre de burnouts. D’après l’Agence Européenne pour la Santé et la Sécurité au Travail (2009), un cas sur deux d’absentéisme est aujourd’hui causé par le stress chronique.

La parole des dirigeants s’est partiellement démonétisée au fil des plans sociaux et des mesures de réduction des coûts. Le lien de confiance avec les salariés s’est distendu. Après dix ans de projets d’orientation client, on constate que la qualité client est encore perçue par près du quart des personnes interrogées (23 %) comme un moyen de faire passer des changements et non comme une ambition mobilisatrice. La difficulté à partager une vision avec les collaborateurs est étonnante. Les mutations en cours sont pourtant bien réelles dans de nombreux secteurs, mais elles sont encore vécues comme virtuelles par des collaborateurs (34 %) qui n’y voient aucune opportunité de développement (53 %).

Conclusion

Ces éléments révèlent le stress que connaissent aujourd’hui un nombre important d’entreprises. Bousculées par les nouvelles technologies, le coût de l’énergie et une nouvelle répartition mondiale du travail, notre tissu socio-économique sortira profondément transformé de la période que nous connaissons actuellement. Les réponses d’ajustement purement conjoncturelles trouvent leurs limites dans un environnement qui n’est pas en crise, mais en mutation. L’avenir passe par la capacité à créer une dynamique de conquête face à cette mutation… tout l’enjeu est là.

Publié le 05/06/2013 dans Les Echos

La création de valeur se déplace du transport physique vers l’intermédiation et la donnée

La création de valeur se déplace du transport physique vers l’intermédiation et la donnée

Face à cette évolution, les acteurs traditionnels développent leur propre stratégie d’intégration, basée le plus souvent sur un élargissement de leur métier de base pour avoir accès au marché de la donnée et ne pas laisser ce gisement de valeur aux nouveaux entrants issus du numérique.

Devant cette mutation, les stratégies des acteurs historiques de la mobilité peuvent se résumer assez simplement.

Les gestionnaires d’infrastructures (Gare et Connexion, Vinci ou Bouygues en France, Autostrade en Italie…) cherchent à élargir leur périmètre en se positionnant comme les plateformes physiques de la multimodalité ou de la démobilité.

Les constructeurs automobiles, au premier rang desquels figurent BMW, Renault ou Toyota travaillent à fédérer un écosystème de services autour de l’automobile, afin ne pas rester cantonnés dans un rôle de fournisseurs.

Les opérateurs de transports publics (RATP ou SNCF en France, Metronet à Londres…) travaillent à offrir une offre de mobilité multimodale intégrée regroupant le bouquet de services le plus large possible.

Les acteurs publics (la Beijing Municipal Commission of Transport à Pékin, les différentes AO en France, TfL à Londres, Metro do Porto au Portugal…) ont principalement pour objectif de garantir un service public de transports et d’information intégrés, au service d’une ville intelligente.

Les logisticiens (Chronopost, Tram Fret, DHL…), que l’on oublie trop souvent, alors que leur action est déterminante pour garantir la fluidité de la circulation urbaine, ont pour objectif de réintroduire la logistique en centre-ville sans impact environnemental et en optimisant la logistique du dernier kilomètre.

Enfin, les spécialistes de la donnée (Orange ou Vodaphone, mais aussi Google ou Transway) ont pour objectif de capter, traiter, indexer les données pour proposer des services intelligents de mobilité… ou de démobilité.

Au-delà du positionnement dans la filière, il est intéressant de noter que ces stratégies sont fortement conditionnées par la nature et le rôle de chaque acteur. Les pouvoirs publics ont pour objectif de garantir à leurs administrés la cohésion du territoire placé sous leur responsabilité, dans une logique de service public. La logique financière est alors perçue comme une contrainte qui ne devient prégnante que par son aspect limitatif.

Cette logique se retrouve dans une moindre mesure chez les opérateurs publics de transport. Par nature, l’approche des acteurs privés est très différente. Les spécialistes de la donnée, en particulier, ont pour objectif d’extraire la valeur des informations qu’ils captent. Cette différence de conception du monde peut parfois générer un dialogue de sourds entre des acteurs se devant de travailler ensemble.

Une tendance inexorable : la valeur se déplace du transport physique vers l’intermédiation et la donnée

L’étude attentive du mouvement en cours révèle un déplacement de la valeur vers l’intermédiation et la donnée. Les acteurs qui captent de la valeur sont et seront de plus en plus des méta-intégrateurs, des places de marchés, qui intègrent les offres de différents producteurs et en organisent la visibilité et la tarification. Le business model sera celui de l’apport d’affaires (comme le fait Amazon Market Place) et la monétisation des  données d’usage de leurs clients qui sont accessibles via ces places de marché.

Les enjeux financiers sont de nature très différente selon le positionnement et la nature de la donnée traitée. Plus on s’éloigne du simple poste transport, plus le budget accessible s’élargit. On passe du budget mobilité (5 900 €/an en moyenne en France) au budget consommation d’un ménage (18 300 €/an en moyenne en France) (5).

Jean-Bernard Girault et Laurent Kalfon

Sources

(5) France, 2012 : HTS d’après Insee

Publié le 30/10/2014 dans Les Echos

Le Smartphone s’affirme comme le pivot de la “mobilité en mobilité”

Le Smartphone s’affirme comme le pivot de la “mobilité en mobilité”

La mobilité urbaine de demain passe par une intégration à tous les niveaux. De façon mécanique, le Smartphone devient le lieu où les différents niveaux d’intégration de l’offre peuvent être facilement accessibles au citadin.

L’intégration des infrastructures

Elle est incontournable afin de regrouper en un même lieu les interconnexions. Cela conditionne le passage de la multimodalité actuelle à une réelle intermodalité et nécessite d’aménager les infrastructures existantes afin d’y accueillir les nouvelles mobilités (installations de bornes de recharges, création d’aires de covoiturage…). Cela passe également par la transformation des hubs de mobilité en hubs de vie (création de commerces et de bureaux en gare) afin de les intégrer pleinement dans la vie citadine.

L’intégration des offres de transport

Elle permet de proposer des solutions clé en main, simples d’utilisation via une plateforme. Cela passe par l’élaboration de solutions multimodales intégrées (via, par exemple, un opérateur unique gérant l’ensemble des modes de transports à l’échelle d’une ville), et d’une intégration tarifaire grâce au fameux titre de transport unique

L’intégration des données

Au-delà des données strictement liées au transport, elle permet de prendre en compte les préférences des citadins et leur localisation. Les services d’information multimodaux, géolocalisés et en temps réel (ex. GPS multimodal, ITS), ou les services d’intermédiation entre le citadin et les transporteurs (comme les comparateurs et moteurs de recherche) deviennent peu à peu incontournables au quotidien…

À cet égard, Optimod’Lyon, en France, constitue un bel exemple de réussite. En fédérant l’écosystème local autour d’une plateforme intégrée et intelligente de la mobilité en milieu urbain cette initiative a réussi à collecter, centraliser et traiter l’ensemble des données de la mobilité urbaine sur une plateforme unique, à créer des services innovants qui facilitent les déplacements et la vie des usagers, et à fédérer des acteurs publics et privés au travers de partenariats concrets.

Le Smartphone devient le pivot de la mobilité en mobilité

Ce mouvement d’intégration confère au Smartphone le statut de pivot de la mobilité. Il s’impose comme le réceptacle de l’ensemble des applications, le “hub de la mobilité en mobilité”. Ceci a pour conséquence de positionner les acteurs numériques, jusqu’ici absents du transport, au cœur du nouvel écosystème de mobilité.

Via les Smartphones, les éditeurs des OS (Apple, Google) s’affirment comme les portes d’entrée de la m-mobilité. La valeur ne tient plus à la possession de l’information, mais à la capacité à l’intégrer à une hyper-connaissance de l’utilisateur et du monde environnant. Les OS embarqués de Google et d’Apple dans les véhicules en sont la parfaite illustration.

Jean-Bernard Girault et Laurent Kalfon

Publié le 30/10/2014 dans Les Echos

La mobilité urbaine de demain se nourrit du développement de nouveaux usages

La mobilité urbaine de demain se nourrit du développement de nouveaux usages

Face à ces enjeux, de nouvelles solutions de mobilité émergent. La plupart des réponses techniques existent aujourd’hui. Le véritable défi est plus de réussir à faire adopter les nouveaux usages induits par ces réponses que d’élargir l’offre.

Pour éviter le chaos urbain et son impact économique et social, de nouvelles solutions de mobilité émergent.

Portées conjointement par des ruptures technologiques et sociétales, des alternatives de mobilité se mettent progressivement en place, partout dans le monde. Globalement, elles s’articulent autour de trois axes : les offres de transport individuel, les services d’intermédiation entre consommateurs et les services d’information.

Ces nouvelles solutions, qui s’expriment différemment en fonction de la réalité géographique marquent le passage d’une mobilité articulée autour des véhicules et de leurs infrastructures spécifiques à une mobilité axée autour des usages et des services d’information et d’intermédiation.

Dans le modèle traditionnel, les infrastructures sont interconnectées (gares multimodales, connexion des lignes de transport entre elles…), mais l’intermodalité réelle reste faible (ainsi, le billet unique est encore inexistant dans de nombreuses métropoles). La montée en puissance des services autour de la mobilité (services d’information multimodale, d’intermédiation…) va bousculer violemment ce modèle en favorisant la concurrence intermodale.

Cela se fera au travers de l’émergence de nouveaux acteurs (autopartage, VTC, utilisateurs  C2C) et de l’intégration des nouvelles technologies aux infrastructures existantes (bornes de recharge, aires de covoiturage).

La mutation des usages a démarré, mais reste encore embryonnaire

Si le mouvement est enclenché, le tournant de la mobilité urbaine n’a pas encore été pris par la plupart des citadins. Les solutions alternatives de mobilité existent et sont aujourd’hui sur le marché, mais les usages alternatifs de mobilité (non contraints) restent marginaux, quels que soient les pays étudiés.

Les véhicules propres, les nouveaux services de mobilité ou d’intermédiation ne parviennent pas encore à créer une alternative tangible.  Leur taux de pénétration reste relativement faible. À titre illustratif, le taux de pénétration de la location de voiture entre particuliers était d’environ 0,2 % en France en 2013 (4).

Répondre aux défis de la mobilité urbaine est moins un problème d’offre qu’un enjeu de transformation des usages

Pour transformer les intentions en changement de comportements, il est primordial de rendre les offres alternatives les plus accessibles possible aux citadins. Cela passe, certes par du volontarisme politique, mais aussi par une intensification de la présence et de la visibilité des nouvelles solutions de mobilité en ville. En d’autres termes, l’accroissement de cette visibilité/accessibilité passe par une intégration à tous les niveaux.

Jean-Bernard Girault et Laurent Kalfon

Publié le 28/10/2014 dans les Echos

Sources

(4) Estimation HTS sur population adressable, 2013

La mobilité urbaine n’est pas qu’une question de transport

La mobilité urbaine n’est pas qu’une question de transport

Mobilité et transport ont souvent été considérés comme deux synonymes en matière de politique urbaine. La réalité de nos métropoles nous fait prendre conscience qu’il s’agit d’une conception trop étriquée pour répondre aux enjeux de nos villes modernes. Les mobilités d’aujourd’hui sont au cœur d’un urbanisme recentré sur la place du citadin.

En trente ans, le paysage urbain de l’ensemble de la planète s’est profondément transformé.

La définition même de ville s’estompe pour laisser la place à la notion d’espace urbain

Cette notion, plus diffuse et plus complexe -qui s’illustre, en France et en Europe, au travers de l’émergence des métropoles– à une conséquence: en matière demobilité, c’est aujourd’hui moins la distance que l’on parcourt que le temps que l’on met à la parcourir qui importe.

Il est étonnant de constater que, dans un espace urbain qui se dilate, la fameuse constante de Zahavi reste néanmoins pertinente, tout du moins dans nos pays occidentaux. Le budget-temps que les citadins consacrent au transport reste stable, autour d’une heure.

Dans les faits, cette stabilité est symptomatique de profonds changements comportementaux de la part des individus. Les rythmes urbains se désynchronisent, les modes de vie et de travail évoluent.

La Ville devient un lieu de mobilité 24/24 et 7/7

Ces évolutions ont un impact non négligeable sur le système de transport urbain. Si un écrêtement des pics de fréquentation aux heures de pointe permet de mieux gérer une offre de transport public souvent saturée – dans une logique de smart grid – la mobilité se doit de refléter de plus en plus la diversité des attentes des citadins.

Comment accorder offre de mobilité et développement de la ville contemporaine ?

L’approche traditionnelle de la mobilité est réduite à sa dimension technique : le transport. En d’autres termes, il s’agit d’organiser, dans une logique de service public, l’acheminement de flux de voyageurs. La logique prédominante est alors une logique d’infrastructure, d’optimisation de coût, d’organisation de modes de transport toujours plus nombreux.

Cette approche est devenue trop monolithique pour la métropole moderne. Pour organiser la mobilité de demain, il faut comprendre la ville d’aujourd’hui. La mobilité est un élément  constitutif du développement urbain qui s’insère dans un écosystème plus large. Bien comprendre la mobilité en ville nécessite d’aller au-delà de la dimension technique du déplacement. Cela nécessite la prise en compte du développement des activités urbaines et de leur organisation dans leur ensemble, la nature des différents espaces, le tissu social, économique qui caractérise ces activités. La question du transport urbain pose avant tout la question de l’accessibilité des différents lieux de vie, dans une logique de durabilité.

Quels sont les caractéristiques de cette nouvelle mobilité ?

L’accessibilité est sans doute l’élément clef car c’est elle qui conditionne l’équilibre entre les territoires de la ville. L’accessibilité doit se comprendre au sens large. Il s’agit de permettre à l’ensemble des populations de passer facilement d’une partie à l’autre de la ville, quels que soient leur origine sociale ou leurs niveaux de motricité (personnes âgées, personnes handicapées…). Sans cette accessibilité la ville devient génératrice d’exclusion. Historiquement ce rôle était joué par la voiture -surtout pour les quartiers périphériques- grâce au niveau de flexibilité qu’elle apporte au déplacement.

Aujourd’hui l’engorgement des voies de circulation, la volonté de « décarboniser » les centres villes, la lutte contre la pollution et la baisse du pouvoir d’achat induisent la nécessité de trouver une alternative à la voiture individuelle. Cette alternative nécessite de penser la ville avec les transports et réciproquement. Si les transports en commun restent la colonne vertébrale de la mobilité urbaine, il est nécessaire de construire le bouquet d’offre permettant d’irriguer l’ensemble –y compris la périphérie- de la ville. L’intégration de cette offre de transport au rythme de la ville est déterminante. La nouvelle offre de mobilité doit permettre de lisser les flux de trafic et de desservir l’ensemble de « fonctionnalités » urbaines en fonction des besoins des habitants. Chaque individu doit pouvoir se déplacer facilement, dans des conditions de temps, de prix et de confort acceptable… être à une heure maximum de l’ensemble des services urbain, dans une logique porte à porte.

Le deuxième enjeu clef de la mobilité urbaine est sa durabilité

Sans même parler de l’importance de limiter le réchauffement climatique-qui sera sans doute l’enjeu majeur de la deuxième partie de ce siècle-, la durabilité devient nécessaire sans un contexte de maîtrise de la consommation de carburants fossiles et de limitation de la pollution urbaine.

La mobilité moderne se doit d’être à la fois propre et écologiquement « éthique ». Elle doit s’insérer dans la politique énergétique du territoire dans une logique de « smart grid », prendre en compte les enjeux de santé publique et de maîtrise d’émission de gaz à effet de serre.

Quelle conclusion en tirer ?

Ces éléments rendent la vision traditionnelle des transports trop technicienne, trop rigide, inadaptée aux nouveaux rythmes urbains. La ville moderne nécessite une réelle intermodalité, qui organise et facilite le passage d’un mode de transport à l’autre en fonction des besoins et des moments.

Cette approche s’intègre pleinement dans la politique d’urbanisme de la ville, au travers notamment de la création de hubs de mobilité et de la place réservée aux modes de transports doux.

Bien au-delà de sa fonction première, les mobilités d’aujourd’hui sont devenues un axe majeur de la politique urbaine, plaçant  les transports au cœur d’un urbanisme recentré sur la place de l’individu en ville. Cela constitue à n’en pas douter un défi technique, architectural et institutionnel, mais réellement incontournable si l’on veut faire de la Ville un lieu qui reste profondément humain.

La mobilité urbaine est à réinventer

La mobilité urbaine est à réinventer

À bout de souffle, la mobilité urbaine moderne ne répond plus aux enjeux de développement des villes ni aux besoins des citadins. Elle doit, aujourd’hui, se réinventer. L’enjeu est lourd, il s’agit de préserver le tissu économique et social urbain et d’éviter le chaos.

En 2008, plus de la moitié de la population vivait en milieu urbain. Cette réalité constitue une grande première dans l’histoire de notre civilisation (1).

Selon les projections de l’ONU, la moitié des Asiatiques vivront dans les villes en 2020 (1) et le nombre de Mégacities (+10M d’habitants) passera de 28 à 41 en 2030 (2).

La quasi-totalité de la croissance démographique attendue se concentrera dans les aires urbaines des pays en voie de développement. La population de ces dernières, qui représentait 2,7 milliards de personnes en 2011, devrait presque doubler d’ici à 2050 (1). La part de la population urbaine des pays émergents rejoignant ainsi celle des pays développés qui se situe entre 70 et 90 % de la population (3).

Face à cette urbanisation (et périurbanisation) explosive, la mobilité urbaine doit en grande partie se réinventer pour éviter le chaos. Elle se trouve aujourd’hui au confluent de 4 enjeux majeurs.

Premièrement, la ville doit faire face à un défi environnemental lourd lié à la pollution et à l’émission de gaz à effet de serre. Ce défi, qui dépasse les enjeux urbains conditionne en grande partie la qualité de vie (en particulier sanitaire) des citadins. L’exemple bien connu de certaines grandes villes chinoises ou indiennes en est la preuve.

Le deuxième enjeu, lié au premier, est un enjeu d’urbanisme, dont la maîtrise permet de garder à la ville son humanité. Une approche raisonnée de l’urbanisme est déterminante pour faire face aux problèmes de congestion.

Le troisième enjeu est lié à la capacité d’adaptation des systèmes urbains existants. Il faut organiser la cohabitation et la coordination entre les structures existantes et les nouvelles offres de mobilité. Cela bouscule des modes de fonctionnement établis, tant chez les opérateurs qu’au sein de la puissance publique (l’exemple des remous provoqués par l’arrivée des VTC dans de nombreuses villes est une parfaite illustration de ce défi).

Enfin, quatrième enjeu, cette mutation doit s’inscrire dans un contexte socio-économique financièrement contraint : baisse du pouvoir d’achat des ménages dans certains pays développés ou pauvreté des nouveaux arrivants issus du monde rural dans les pays en voie de développement.

Il est édifiant de constater que ces quatre défis sont les parfaits révélateurs des difficultés structurelles des systèmes existants : pouvoirs publics mal adaptés à leur nouvel environnement (manque de coordination, rigidités, existence potentielle de rivalités entre opérateurs publics, mille-feuille des AO en France…), manque de volontarisme – en particulier politique –, difficulté à faire face à de nouvelles contraintes règlementaires (normes environnementales, de restrictions de circulation), conjoncture défavorable qui pénalise l’investissement sur un marché très concurrentiel.

Parallèlement à ces enjeux, de nouvelles attentes émergent chez les citadins. Ces attentes sont liées à l’évolution des rythmes urbains dans les pays développés. Ainsi, face au développement des modes de travail en désynchronisé, l’accès à une mobilité 24/7 devient incontournable, dans une ville qui ne s’arrête jamais. Pour ce qui est des pays en développement, la priorité reste plus prosaïque. Il s’agit de proposer aux citadins la mobilité la plus fluide possible et d’irriguer tous les quartiers de villes souvent tentaculaires.

Malgré des différences liées à l’environnement, il est néanmoins intéressant de constater que les attentes de base des citoyens restent les mêmes : toujours plus de services à un coût toujours plus réduit. Lorsque cela n’est pas respecté, le tissu urbain perd sa cohérence géographique, économique et sociale.

Jean-Bernard Girault et Laurent Kalfon

(1) Source : notre-planete.info, “ L’accroissement de la population et l’exode rural

(2) UNO, World Urbanisation Prospect, 2014

(3) World Bank, 2012

Publié le 27/10/2014 dans les Echos